Jonathan Demme filme les concerts des Talking Heads en décembre 1983 au Pantages Theatre à Hollywood. Le documentaire revient dans les salles ce 18 juin dans une version restaurée 4K.
En 1983, les Talking Heads sont au sommet de leur carrière. Burning Down the House tourne en boucle sur les radios américaines, MTV diffuse leurs clips arty, et David Byrne devient, sans en avoir l’air, l’un des frontmen les plus fascinants de son époque. En décembre, à la fin de la tournée triomphale de Speaking in Tongues – leur cinquième album, plus pop, plus funky, sans Brian Eno à la production –, le groupe joue quatre soirs au Pantages Theater de Los Angeles, un théâtre davantage qu’une salle de concert (ça a son importance), avec l’idée d’en garder une trace filmée. Sans deviner qu’ils sont en train de graver leur propre mythe.
Derrière la caméra : Jonathan Demme, jeune cinéaste new-yorkais qui vient de signer, à 40 ans, une petite comédie indé, Melvin and Howard, appréciée par la critique (et David Byrne), mais encore loin du triomphe du Silence des agneaux en 1991. Fan du groupe depuis un concert à Central Park en 1979, Demme les contacte, leur expose sa vision et les convainc qu’il est l’homme de la situation. Il n’avait jamais filmé de concert ; il va pourtant signer le meilleur de tous.
Un ballet super stylisé et sensuel
Stop Making Sense est un miracle de mise en scène autant que de musique : la rencontre entre deux grands artistes au sommet de leur forme. Pendant 1 h 30, le film nous donne à voir un groupe in the zone, cet état de grâce absolue où chaque geste, chaque note, chaque lumière semblent improvisés et en même temps d’une précision millimétrée. Et ce qui aurait pu n’être qu’une captation live devient un ballet super stylisé et sensuel – qui n’oublie pas non plus d’être régulièrement drôle.
À rebours des codes du genre, Jonathan Demme concentre l’attention exclusivement sur la performance. Pas de scènes en coulisses, pas de plan (ou presque) sur le public, pas de rock’n’roll circus. Une radicalité qui épouse la philosophie des Talking Heads, groupe arty et cérébral né au CBGB, qui a toujours préféré le concept au charisme. Mais en 1983, sous l’influence de l’afrobeat, du gospel et des chorégraphes Twyla Tharp et Toni Basil, les Heads sont devenus une formation métissée, polymorphe, où l’on danse autant que l’on joue.
David Byrne avec son big suit
Le film commence avec Psycho Killer, interprété par David Byrne seul sur scène avec une boîte à rythmes. À chaque chanson, un membre du groupe le rejoint – Jerry Harrison, Tina Weymouth, Chris Frantz – jusqu’à ce que l’équipe soit au complet. La scénographie suit cette montée en puissance : les câbles, les spots, les estrades apparaissent à vue, comme si on assistait à la naissance du groupe. S’ensuivent des tableaux inoubliables : Life During Wartime en séance d’aérobic parano ; This Must Be the Place en danse fredastairienne avec une lampe ; Once in a Lifetime en transe évangélique d’open space ; et Take Me to the River, en apothéose gospel.
Et puis, bien sûr, il y a le big suit. Costume immense, grotesque, sublime, conçu pour exagérer le haut du corps, et transformer David Byrne en icône dadaïste. Il entre dans la légende avec Girlfriend Is Better, dont les paroles donnent leur titre au film. Quatre décennies plus tard, Stop Making Sense revient dans une version restaurée 4K. Et même sans être fan des Talking Heads, le film est à voir – et il à avoir en salle, avec des gens qui y dansent, si vous avez un peu de chance – ne serait-ce que pour ressentir cette chose si rare : la perfection en mouvement.
Stop Making Sense de Jonathan Demme et les Talking Heads avec Bernie Worrell, Alex Weir, David Byrne (1 h 30). En salle le 18 juin 2025.
-
Talking Heads aurait refusé 80 millions de dollars pour remonter sur scène
-
On a classé les 7 meilleurs films de concerts
-
Pour la première fois en 21 ans, Talking Heads se réunit
-
La magnifique mise en scène de “Once in a Lifetime” signée David Byrne
-
La vie confinée : 16 concerts à vivre chez vous
-
David Byrne sort son premier album solo depuis 14 ans, extrait en écoute