Du 21 au 26 janvier, Paris a vu défiler 67 collections masculines pour l’hiver 2025-2026. Au programme : des shows transformés en performances, du surplus militaire déconstruit, des designers émergents qui bousculent les normes et un corps masculin oscillant entre vulnérabilité et protection
Une semaine de la mode masculine sous tension, comme si tout le monde retenait son souffle. Entre secousses politiques et marasme économique, l’industrie cherche son équilibre.
Faut-il se blinder ou se réinventer ? Fuir dans la nostalgie ou répondre à l’urgence ? Cette saison, les podiums ne tranchent pas mais esquissent des pistes : le confort devient armure, l’élégance une résistance, la collaboration une stratégie de survie. Plus qu’un spectacle, la mode murmure des interrogations. Reste à voir qui y répondra.
La mode comme performance : le show comme message
Le 21 janvier, l’évêque américaine Mariann Edgar Budde implorait Donald Trump : “Au nom de notre Dieu, ayez pitié des gens de notre pays qui ont peur maintenant”. Trois jours plus tard, cette prière trouvait un écho dans le show de Willy Chavarria, Mexicain ayant grandi en Californie, qui rejoignait pour la première fois le calendrier parisien. Une collection politique, pensée durant la campagne américaine, mêlant costumes zazous, codes latinos dandy et sportswear des gangs, le tout jouant sur une tension entre sensualité et sacré.
D’autres performances ont marqué la semaine. Steven Passaro a redéfini les codes du défilé en immergeant le public dans les coulisses : maquilleur·ses, stylistes et figures invisibles des backstages devenaient les protagonistes d’un spectacle chorégraphié. La préparation, habituellement dissimulée, était mise à nu, accompagnée d’une collection où le tailoring précis dialoguait avec des pièces aux accents couture. Chez l’Écossais Charles Jeffrey Loverboy, les corps crient, dansent, s’embrassent et s’entrechoquent : une orgie de gestes qui célèbrent les cultures queer autant qu’ils interrogent la violence. Ici, le défilé est un théâtre, une extension du corps et du politique.
Le militaire détourné : pacifisme en uniforme
Dans un monde gangrené par des dystopies politiques, la mode revisite pour l’hiver 2026, les codes du vêtement militaire, détournant l’uniforme des batailles pour en faire un manifeste d’insoumission. Chez Louis Vuitton, c’est un total look impeccable ; chez KidSuper, une version cocon oversize. Mais nul ne va aussi loin que Rei Kawakubo pour Comme des Garçons. Sur du Nina Simone, ses mannequins avancent un casque drapé de satin ou piqué de fleurs sur la tête. Les vestes kaki deviennent des pantalons rapiécés de tartan, et les souliers sont pliés comme des origamis. Pas de slogan, mais une étude minutieuse d’un vêtement qui se libère de son usage martial pour devenir poème visuel.
D’autres maisons embrassent le potentiel rebelle de l’uniforme. Chez Undercover, il se pare de rugosité punk. Chez Fursac, Gauthier Borsarello s’inspire des années 1980, période où l’utilitaire exprimait une quête de liberté. Junya Watanabe revisite le normcore américain avec des vestes utilitaires et du denim brut, tandis que chez Sacai, Chitose Abe, inspirée par Where the Wild Things Are, transforme le vêtement fonctionnel en conte : parkas doublées de fourrure et bottes monumentales deviennent sculptures.
Paris, capitale des modes
De Lagos Space Programme, marque britannico-nigériane, à la maison indienne Kartik Research, l’élégance se réinvente : non-binaire, hybride et ancrée dans des récits culturels riches. Loin d’une scène eurocentrée, Paris accueille depuis près d’un demi-siècle des modernités qui questionnent ses prétentions universalistes. Chez Lagos Space Programme, fondé par Adeju Thomson en 2018, les racines nigérianes se mêlent à une sémiotique queer et contemporaine : dentelle appliquée sur des pantalons, chemises ouvertes sur le sternum et mules en fourrure déconstruisent les codes binaires. Thomson refuse tout exotisme fantasmé et assume des éléments audacieux, comme un sur-pantalon rouge inspiré du jockstrap, exposant les hanches avec subversion.
De son côté, la maison indienne Kartik Research, fondée en 2021 par Kartik Kumra, insuffle une gravité méditative à ses créations. Broderies délicates, textiles artisanaux, volumes amples : chaque pièce, réalisée en Inde, brouille les frontières entre masculin et féminin, entre Orient et Occident. Les costumes, plus vastes et confortables, évoquent une autre idée du luxe. Paris, pour rester capitale de la mode, doit être un lieu de polyphonie culturelle. Ce travail d’élargissement du champ des possibles passe également par des figures comme Wales Bonner, qui célèbre cette année ses dix ans de création.
Parabole de la marge
Plus subtile que littérale, la mode détourne des récits universels pour alerter sur une réalité politique alors que chaque jour les droits des LGBTQ+ vacillent. Chez EgonLab, les procès de Salem se transforment en manifeste esthétique. Loin du folklore, des manteaux noirs impeccablement taillés côtoient des détails subversifs : boutons déplacés, ceintures intégrées aux pantalons, salopette en cuir asymétrique drapée en foulard. Ce grunge bourgeois bouscule l’ordre établi, emblématique de la tension entre noblesse et rébellion qui caractérise cette collection.
Louis Gabriel Nouchi explore un futur à la Orwell sans jamais sombrer dans la caricature, jouant sur le dévoilement et le voilement du corps. Jeanne Friot convoque Jeanne d’Arc dans des armures argentées et kilts militants. Chez Doublet, Masayuki Ino mêle humour et noirceur pour dédramatiser les thèmes les plus sombres.
Un questionnement sur le corps
Cette saison, le corps masculin se redessine, se dévoile, mais se protège également. Chez EgonLab, les cols montent haut, évoquant une armure moderne, mais des épaules se découvrent aussi. Chez Lemaire, la tête se coiffe de cagoule, le cou s’enfouit dans des cols roulés moulants. Les jambes s’allongent, prises dans des bottes montant jusqu’aux mollets ou des pantalons ajustés.
Chez Acne Studios, l’esthétique se joue entre grunge et néo-classique, explorant de nouvelles libertés masculines : débardeurs courts dévoilent le ventre, shorts raccourcis exposent les jambes. Chez Courrèges, épaules nues et bas-ventre exposé interrogent la sensualité masculine. Dior resserre la taille et affine les pantalons. Chez Hermès, les corps élancés s’habillent de coupes ajustées.
Dans les notes du défilé, une phrase résonne : Le vêtement n’est pas une seconde peau, mais une troisième, un habitat.” Repenser le rapport entre corps et habit, entre armure et fragilité : cette saison, la mode se fait abri.
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